8 Mai 2025
Ce jour printanier du mois d’avril, j’ai le plaisir d’être reçu au Château La Garde par Valentin Jestin, co-propriétaire, et Pierre Estorge, responsable de la propriété depuis 2013 et Audrey Dubourdieu chargée de communication, pour une dégustation verticale.
Plantons le décor : un cuvier ultra-moderne (agence Moon Safari) éclairé par de grandes baies, accolé avec pertinence à la bâtisse historique, une chartreuse datant de 1732. Cette entité fusionnelle entre l’ancien et le contemporain surplombe le terroir de belles graves alentour. Un cadre heureux qui invite à la (re)découverte de ce vignoble – 50 ha en rouge et 4 ha en blanc, d’un seul tenant – sis à Martillac, sur le point le plus haut de l’appellation, et mené de main de maître.
Les vins, qui ont connu par le passé des élevages excessifs, ont bien changé de profil au cours de la dernière décennie. L’essor qualitatif est là dans nos verres, à travers les 7 derniers millésimes dégustés, des vins magnifiques rivalisant avec les plus grands de l'AOC Pessac-Léognan.
Les hautes baies vitrées apportent cette lumière que l’équipe aime retrouver dans l’expression "radiante" de ses vins.
Le terroir et les pratiques culturales
Acquis en 1990 par Jean-Marie Chadronnier et Patrick Jestin, ce domaine historique appartient à la Maison Dourthe. Cette dernière a rejoint en 2007 le groupe champenois de la famille Thiénot , déjà propriétaire de deux châteaux bordelais, ce qui porte à 8 le nombre de crus de la fameuse maison bordelaise aujourd’hui.
Anciennement dans l’AOC Graves, le Château La Garde bénéficie depuis 1987 de l’AOC Pessac-Léognan (couvrant 10 communes du nord des Graves) après qu’André Lurton, ancien Président de l’Organisme de Gestion, a mis un terme à l’histoire commune de ces deux territoires viticoles de la rive gauche. Pessac-Léognan compte 16 Grands Crus Classés (GCC), en rouge, en blanc ou plus rarement les deux.
Dès l’arrivée, la mitoyenneté de La Garde avec le Ch. Latour-Martillac donne une idée du terroir ici, niveau GCC, avec une belle croupe de graves. On y dénombre pas moins de 27 types de sols selon les proportions de cailloux sinon de galets, d’argiles, de sables et de calcaires (falluns). L’encépagement – 34 ha de merlot, 15 ha de cabernet-sauvignon et 1 ha de petit verdot, en rouge ; 3,5 ha de sauvignon blanc et 0,5 ha de sémillon en blanc – voit sa densité varier depuis le minimum de l’AOC (6500 ceps/ha) jusqu’à près de 8000 ceps/ha pour les nouvelles plantations. Un gage de bonne maturation et de richesse des raisins.
La mise en valeur du terroir passe par des enherbements hivernaux, naturels ou par semis (orge, vesce). L’épandage de la bouillie bordelaise est préféré aux pesticides de synthèse pour les vignes à proximité des habitations, conduites en agriculture biologique. L’écosystème proximal est favorable à la biodiversité : verger, ruisseau, étang et forêt environnante. En 2022, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) en a fait une cartographie éloquente (1).
Les vinifications et l'élevage
La donne naturelle (le terroir) et les soins apportés à la culture ne seraient rien sans la révélation de la qualité contenue dans les raisins, toujours cueillis à leur juste maturité. Les vinifications puis l’élevage sont les stades ultimes et capitaux pour faire émerger le bel ouvrage.
Sur les 63 cuves inox de 60 à 120 hl du nouveau chai (2021), 34 cuves sont tronconiques, dont la moitié (17) sont inversées, une innovation favorable à la vinification de certains lots de cabernet-sauvignon pour réduire le niveau d’extraction des tannins si nécessaire. Elles sont appropriées à la vinification parcellaire afin d’assembler les lots les plus qualitatifs pour le Grand Vin, emblème du cru.
Le chai souterrain creusé en 1991, d’une capacité de 2000 fûts, est le cœur battant du château. La priorité cardinale pour achever l’ouvrage en beauté, concerne la qualité du chêne (origine), la proportion de bois neuf, le degré de chauffe et le temps d’élevage. Cette savante alchimie au service de l’oxygénation managée, gérée en conclave avec les dirigeants et les winemakers, est aujourd’hui parfaitement maitrisée.
Les consultants œnologiques indépendants, apparus à Bordeaux dans les années 1990, guident les pratiques et les orientent en fonction de l’objectif recherché : ici la plus grande finesse (l’âme), sans se départir d’une structure suffisante (le corps). Dignes successeurs du Pr Denis Dubourdieu, Axel Marchal et Christophe Ollivier accompagnent depuis plusieurs années l’équipe de la propriété pour finaliser, jusqu’à la mise en bouteille, le Grand Vin du Château La Garde blanc, et désormais aussi le rouge depuis le millésime 2023.
La dégustation
Une verticale des sept derniers millésimes, en compagnie du journaliste César Compadre (Sud-Ouest), nous permet de percevoir clairement l’évolution des vins en termes de qualité comme de style, à la faveur d’un travail toujours plus exigeant. Il faut en effet distinguer deux périodes :
> Les premiers millésimes de la série – à l’exception du 2018 à 63% de cabernet-sauvignon – sont à majorité de merlot : 2019 (52%), 2020 (65%), 2021 (62%), 2022 (63%). Ces vins présentent pureté, opulence, fraîcheur, et une grande authenticité grâce à un boisé fondu, insoupçonnable. A part le 2019 qui semble à point pour être dégusté, les quatre autres sont appelés à un bel avenir.
> Les millésimes récents à partir de 2023 se recentrent sur les cabernet-sauvignons du plateau de graves profondes (57% dans le 2023, 55% dans le 2024), ce qui réduit de moitié la superficie dédiée au Grand Vin (20 ha Vs 40 ha). Cette réorientation, qui correspond à l’arrivée d’Axel Marchal sur les rouges, se propose de redimensionner le vin en réduisant la part du merlot, plus sensible à la chaleur lors de la maturation. Une démarche qui a tout son sens dans le contexte actuel de réchauffement climatique.
Ce parti pris qualitatif est trop récent pour déceler quoi que ce soit de différent dans ces deux derniers millésimes, toujours immatures. C’est à terme que la majorité de cabernet se révèlera et que le Grand Vin gagnera comparativement en définition, en profondeur et en capacité de vieillissement.
En blanc nous n’avons dégusté que le 2023 (97% de sauvignon blanc, 3% de sémillon), une réussite remarquable. C’est pour moi un grand vin sec, à l’instar du Ch. Couhins-Lurton parmi quelques rares grands crus bordelais dédiés au sauvignon. Pur, racé, d’une grande complexité, sans l’expression aromatique variétale du cépage, qui permettrait de l’identifier à l’aveugle. Et surtout, contrairement à beaucoup de blancs secs de Bordeaux, même classés, on est en droit de lui prêter un grand avenir ! Il sera intéressant, pour confirmer ces propos, de déguster quelques millésimes plus vieux.
Le réceptif & l’œnotourisme
Ce cru à 25 minutes de Bordeaux offre un site réceptif de premier ordre, destiné aux entreprises (séminaires, dîners de gala…) comme aux particuliers pour des évènements privés. Vaste est la palette d’expériences oenotouristiques proposées (visites, dégustations, cours de cuisine, brunchs, séances de cinéma en plein air…). Le château dispose de trois superbes chambres, dont deux suites, au sein de la chartreuse, pour un séjour relaxant au cœur de cet écrin de nature.
En partie distribués par la Place de Bordeaux à destination des professionnels, les vins de La Garde sont aussi disponibles pour les visiteurs à la boutique du château ; les prix restent abordables pour l’appellation et compte tenu du niveau de qualité : Ch. La Garde rouge autour de 35 € TTC la bouteille selon les millésimes, Ch. La Garde blanc autour de 40 € TTC. Le Second Vin La Terrasse de La Garde, dans les deux couleurs, permet de se faire plaisir à moindre budget.
(1) 56 espèces d’oiseaux, 33 de papillons, 17 de libellules, 10 de chauve-souris, 5 d’amphibiens
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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