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VINS ORANGES : Mode éphémère ou durable ?

VINS ORANGES : Mode éphémère ou durable ?

LE VIN ORANGE

La quatrième couleur ?

Pour un dégustateur de vins, amateur ou professionnel, découvrir de nouveaux « goûts » est toujours une source d'émotion sensorielle (bonne ou mauvaise), d’enrichissement culturel à travers des pratiques « hors les murs ».
Depuis 20 ans, un nouveau type de vin, historiquement produit dans les Balkans, fait son chemin à bas bruit :  le vin orange (orange wine), ainsi dénommé pour sa couleur (acquise au cours de l’élaboration) par David Harvey, un importateur anglais.
Provenant de cépages blancs vinifiés comme un vin rouge, il suscite aujourd’hui une grande curiosité tant il bouscule l’orthodoxie de l’élaboration des vins blancs autant que les habitudes de dégustation.

Après le blanc (sec et liquoreux), le rosé et le rouge, la quatrième couleur est-elle née ?

Histoire ancienne du vin orange.
Les Balkans et plus précisément la Géorgie, sont considérés comme le berceau de la viticulture. Le pays est une large voie de communication entre les deux mers (Noire et Capsienne), entourée par les chaînes de montagnes caucasiennes. L’archéologie atteste de la domestication de la vigne dans le Caucase au néolithique (- 8000 av. JC). Les premiers vignerons caucasiens ont vinifié les raisins de vignes sauvages ou semi-sauvages (entretenues) enroulées autour des arbres et pouvant devenir plus grosses qu’eux. On a isolé plus de 500 variétés de vitis vinifera dont à peine 10% sont aujourd’hui cultivées. Le mot « vin » dériverait du terme géorgien « gvino ». La tradition viticole géorgienne (1) - 70% de la production de vin orange provient de la région sud-est, la Kakhétie -, consiste à mettre à fermenter puis à macérer longuement le raisin blanc, parfois en grappes entières (non éraflées), de variétés endémiques :  rkasiteli, kisi…, dans des amphores d’argile cuite enduite de cire d’abeille. Ces contenants appelés kvévris ou qvévris - de 1000 l et 6000 l, à fond conique, obturés par des couvercles (bois, pierre ou verre) étanchés avec du suif - sont enterrés à l’extérieur ou dans des chais (marani).  Cette macération qui dure plusieurs mois, se fait à température naturelle et constante, entre 13°C et 15°C.

Le renouveau du vin orange
Après la chute du mur, ce modèle œnologique historique tente des vignerons italiens curieux Frioul-Vénétie Julienne, au nord-ouest de l’Italie. Ils vont l’adapter à leurs cépages locaux (ribolla gialla, fruilano, malvoisie, pinot grigio) et créer le vent nouveau du vin orange. Aujourd’hui, dans cette région, tous les vignerons élaborent ces vins ambrés, appelés « ramato » (cuivré) ou « macerato » (macéré). Cette production nouvelle s’est ensuite répandue avec plus ou moins de bonheur, dans toute la péninsule, puis dans tout le bassin méditerranéen dont la France, et a fait le tour du monde viticole.

Josko Gravner, le maestro d’Oslavia
Cette histoire locale, qui s’est aujourd’hui mondialisée, est écrite au départ, par Josko Gravner, un vigneron d’Oslavia, petit village italien du Frioul, à la frontière slovène.
A partir des années 70, quand il reprend le vignoble familial, il replante avec des cépages internationaux dont en blanc, le chardonnay, le sauvignon, le riesling… qu’il vinifie en cuve inox avec la technologie œnologique moderne et les intrants qui vont avec. Après un voyage en Géorgie en 2000, il est séduit par le vin orange, ce blanc de macération en amphores, élaboré le plus naturellement possible – la majorité des productions de vin orange sont en AB - et décide de remplacer une partie de ses cépages blancs par du pinot grigio (gris) et la fameuse ribolla gialla, plantés à 14 000 pieds par hectare. La ribolla est un cépage endémique des collines d’Oslavia qui lui offrent un lieu de prédilection ; on y trouve parmi les meilleurs producteurs de vin orange au monde. 
Vendangés à la main, les raisins sont mis à fermenter et à macérer pendant huit mois, sans adjuvants chimiques, dans 44 amphores enterrées de 20 hl, obturées avec un couvercle de marbre, rendu hermétique par un joint de mastic. En 2000 ces kvévris proviennent à cette époque d’un des rares artisans géorgiens qui les fabriquent à la main : Zaliko et son fils. Depuis lors, la production artisanale de ces contenants en terre cuite s’est développée en Géorgie comme en Italie (Toscane, Vénétie, Trentin) et ailleurs.

Après cette longue macération, le vin orange est soutiré dans des foudres de bois de Slovénie où il vieillit (se complexifie) tout en s’épurant, pendant 4 à 6 ans. Après la mise en bouteille – avec ajout de quelques mg de soufre – les vins reposent encore une année avant d’être livrés. Aujourd’hui ce sont les 2015 qui sont à la vente.
Alors qu’il bannit la chimie œnologique, Gravner avoue « l’œnologie moderne m’a aidé à comprendre pourquoi les anciens avaient raison »…« l’homme ne doit accompagner que des processus naturels ».

La démarche singulière et exigeante de Josko Gravner à travers des élevages longs, ne peut se comparer à celle de la majorité de ses pairs et des nombreux vignerons dans le monde qui, d’abord sceptiques, ont tenté de lui emboîter le pas.

Quelques réflexions sur le vin orange
Même si la couleur le laisse croire, le vin orange n’est pas un vin oxydatif comme le vin jaune du Jura ou le Xérès ; il n’est pas élevé sous voile. Certaines bouteilles peuvent malheureusement le devenir lorsqu’il y a absence de soufre et que la volonté d’élaborer du vin Nature (sans soufre ajouté) conduit à la présence d’acidité volatile que d’aucuns tolèrent…puisque c’est naturel !
Ces vins, en fonction du cépage, du temps de macération et d’élevage, en amphores d’argile pour mimer la tradition géorgienne du kvévri ou dans d’autres contenants (fûts ou foudres de chêne, cuves inox), s'expriment très diversement. Entre quelques jours ou semaines de macération (la majorité du vin orange sur le marché) et huit mois, deux ans ou plus d’élevage comme chez Gravner, les résultats œnologiques n’ont rien à voir. Cette très longue macération est la prouesse de Gravner. Plus on fait macérer, surtout avec la rafle, plus on prend le risque d’extraire des arômes végétaux et des matières gustatives inconvenantes (amertume…). Ainsi, peu de vignerons s’engagent sur des temps longs de macération comme le fait le maestro d’Oslavia. J’ose croire que tous les cépages n’autorisent pas la production d’un vin orange comparable à celui de Gravner, qui à mon sens reste le modèle.
Pour recourir à la vinification en grappes entières, la rafle doit être mûre (aoûtée) lors de la cueillette comme c’est le cas de rares cépages rouges (pinot noir). Outre le choix de la variété, la qualité des raisins dépend aussi de la forte densité de plantation et du rendement faible de chaque cep (quelques grappes). On suppose que Gravner cueille de petites grappes, concentrées dont la rafle n’est plus végétale. La longue macération de rafles qualitatives communique encore plus que les pellicules et les pépins, une force tannique comparable au vin rouge et un grand pouvoir antioxydant.

Un dégustateur professionnel français, Stéphane Grenet, vivant en Vénétie (Trévise), m’indique que peu de vignerons s’adonnent ici à la vinification en grappes entières (2) : « la décision de mettre tout ou partie en vendange entière dépend du millésime et de l’équilibre subtil entre la maturité phénolique des raisins et celle de la rafle ». 
 

Dégustation du vin orange
En préambule, précisons que notre expérience en matière de dégustation du vin orange se limite pour l’instant à celle du maestro, de certains de ses voisins et de quelques vignerons français (3).
J’évoque ci-dessous la bouteille de Joško Gravner, qui il y a dix ans, m’a fait aimer le vin orange, un pinot grigio 2006 Venezia Giulia I G T, (autour de 150 € la bouteille).
Belle robe cuivrée, chatoyante, rutilante, d’un orange profond, vieil or. Le bouquet magnifique (sans notes oxydatives, ni boisées qui masqueraient l’authenticité), d’une grande pureté, libère une incroyable complexité. On n’en finit pas de nommer des approchants pour citer tous ces arômes qui affluent au fur et à mesure de l’aération et de notre attention olfactive grandement mise à contribution : arômes de fleurs (acacia, tilleul…) et de fruits blancs, de fruits secs (noix, noisette, raisin, amande…), d’agrumes (citron, cédrat…), d’épices, de thé, de miel, de torréfaction (café, pain grillé...). Ce ballet d’effluves si raffinés est émouvant. La bouche est structurée, texturée, riche, ample, avec une teneur élevée en tanins et un goût intense qui signe une matière dense et concentrée (riche en extrait sec). La persistance (temps d’imprégnation des récepteurs buccaux et olfactifs après avoir avalé) est très longue. Ainsi, ce vin autorise-t-il tous les mariages ou presque et un service tout au long du repas…même sur les viandes. Pluralité d’arômes, fusion des goûts suaves, raffinement tactile, enchaînements durables et harmonieux, rémanence…, ce vin, mêlant la fraicheur raffinée d’un blanc et la consistance d’un rouge, mérite tous les attributs des plus grands vins du monde.
La température de service est essentielle, autour de 15° C. Aéré en carafe pendant quelques heures, le vin ne s’en livrera que mieux. La bouteille ouverte, conservée sous vide avec bouchon de type Vacuvin pour faire un vide relatif, se conservera plusieurs jours ou semaines au réfrigérateur.
Je conseille aux Bordelais d’en faire la riche expérience au Tentazioni, le nouvel étoilé du 59 rue du Palais Gallien, qui a été le premier à les proposer pour accompagner ses mets délicieux tout au long du repas.

 Le vin orange intéresse, voire captive des palais éclectiques, suffisamment aguerris pour les considérer à leur juste valeur organoleptique. Reste à savoir si le vin orange est une mode - quantitativement le phénomène est marginal - un engouement momentané promu par quelques palais aventureux, tout simplement curieux ou s’il va gagner une large population d’amateurs. Il deviendrait en cela une heureuse alternative tannique aux grands vins rouges.
F D
 (1)En 2013, la méthode géorgienne d’élaboration du vin orange, est inscrite à l’U N E S C O au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité. Néanmoins ce processus remonte à l’Antiquité. Les qvévris ne sont que la réminiscence du dolium en terre cuite (jusqu’à 3000 l), servant au transport de liquide ou enterrées dans lesquelles on y faisait fermenter les raisins entiers.

(2)Les plus connus sont :  Josko Gravner, Damijan Podversic, (voisin et disciple du premier), tous deux distribués par Oenotropie, www.oenotropie.com/2accueil.html#p_12  , Paraschos (Colio italien),  Vodopivec (Carso italien), Marko Fon (Carso slovène),  ces deux derniers vinifiant le cépage vitoska.

(3) Avec Guy Vatus, nous avons dégusté une dizaine de vins oranges français. Ont magistralement émergé (pour combien de ratés !)
- « Peaux » 2018, Vin de France, macération de chenin centenaire en kvévri, de Sylvie Augereau à
Le Thoureil 49350,  AB, autour de 40 €
- « Domaine de la Petite Sœur – Les Gats », Vin de France, sauvignon blanc d’Adrien de Mello, château de la Genaiserie,  49190 Saint-Aubin-de-Luigné, AB, BD, autour de 25 €

 Bibliographie
« Le bonheur est dans l’amphore », article du Monde 9/2022 par Stéphane Davet

« Amber Révolution » de Simon Woolf, 2018, Ed. Interlink Publishing (en anglais).

« Skin contact. Voyage aux origines du vin nu », Alice Feiring, 2017, Ed. Nouriturfu

 

 

 

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À propos

Franck Dubourdieu

Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur

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P
Magnifique article pour la découverte de ce vin. cela donne envie de déguster. Merci Franck
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D
Merci Philippe de ton commentaire.<br /> Es tu toujours en activité ?<br /> J'ai dégusté hier Kirwan 2022, toujours classique et délicieux!<br /> Amicalement