9 Septembre 2017
RÉSUMÉ
Depuis l'apparition au XVIIème siècle de la mèche soufrée dite allumette hollandaise dans les chais des Chartrons, le soufre est omniprésent dans le vin. La tendance récente d'en abaisser les doses a vu naître le vin Nature ou Sans Soufre Ajouté (SSA). Des cuvées qui sont le plus souvent élaborées par des vignerons en rupture avec la viticulture conventionnelle, voire même avec le système légal de production et les circuits traditionnels de distribution. Dans les années 2000, la presse, quelques cavistes et amateurs branchés, lancent la mode du vin Nature et entretiennent à loisir le débat houleux, jusqu'au divorce idéologique, entre les pour et les contre. Si à cette époque quelques rares vignerons devenus des référents maîtrisent la technique, la communauté des oenologues et des amateurs éclairés ont des raisons de s'alarmer avec l'apparition de cuvées qui finissent dans le vinaigrier.
Comme dans tout mouvement extrême, les puristes côtoient les opportunistes qui lorgnent sur une niche commerciale et proposent au consommateur souvent crédule, des faux Nature et des faux Bio.
L'idée du vin Nature remonte aux années 60, époque où quelques vignerons aux convictions prémonitoires, refusent la chimie et les pratiques trop violentes sur le raisin et le vin. Le père spirituel du vin Nature, Jules Chauvet, vigneron à Morgon, chercheur et dégustateur émérite, invente la macération carbonique de son gamay, livre dans la presse locale ses secrets pour faire du vin sans soufre et sa foi inconditionnelle dans la flore indigène comme pour les vertus auto-protectrices des lies. Marcel Lapierre jeune vigneron voisin formé par Jules Chauvet, est devenu aujourd'hui, à travers sa descendance, une référence mondiale de la spécialité.
L'itinéraire du vin Nature réussi est le prolongement, sinon l'optimisation, des pratiques Biologiques et Biodynamiques. Nos visites chez Mathieu Lapierre, le fils, et nos contacts assidus avec d'autres vignerons, nous ont éclairés sur quelques principes fondateurs : la qualité du raisin, l'hygiène drastique et un interventionnisme à minima pour respecter les équilibres naturels, en particulier la flore indigène porteuse d'une empreinte identitaire et les lies qui nourrissent et protègent le vin. Pour les Biodynamiciens à l’origine d’une partie des vins Nature réussis, la dynamisation (9) des préparations naturelles pour traiter la vigne, comme celle du vin lui-même, renforce l'auto-résistance du vin livré à lui-même.
La cuvée Barthélémy « Retour des Îles » du Château Le Puy, sans soufre ajouté, dont deux fûts voyagent bonde de côté 14 mois dans la cale d'une goélette et qui revient sans élévation notoire de l'acidité volatile, en est un témoignage aussi vibrant que troublant.
La stabilité du vin Nature nécessiterait une température < 14°C. A l'image du Château Le Puy, certains producteurs affirment au contraire que leur vin ne demande pas de précaution particulière.
Les fervents du Nature considèrent qu'en dégustation aveugle, le Nature est toujours au-dessus du soufré, aussi peu soit-il : plus libre, plus évolutif, plus expressif. A l’inverse, des dégustateurs préfèrent le vin soufré, qui est plus retenu, se livre moins, se fait attendre dans le verre... Notre expérience ne nous permet pas à ce jour d'avoir une préférence significative.
Challenge louable, l'élaboration du vin Nature réussi, aboutissement d'une viticulture propre, ne peut que renforcer la qualité du vin. Il ne doit pas néanmoins faire oublier le vin avec peu de soufre ajouté qui mérite tout autant notre attention puisque cet additif historique, excepté pour les allergiques, ne présente aucune toxicité.
Pour laisser un commentaire aller à la fin de l'article
LE CLARET ÉTAIT NATURE
Le vin Nature ou Sans Soufre Ajouté (SSA) (1) est la règle jusqu’au XVIIème siècle, époque où l’on invente à Bordeaux le New French Claret, avec l’usage de la mèche soufrée dite allumette hollandaise pour conserver le vin en fûts. Auparavant, le Claret (2) tiré du fût – la mise en bouteille est balbutiante et très chère – est consommé dans l’année. Son prix et sa qualité se déprécient avec le temps. A partir de cette époque, le soufre devient l’allié obligatoire, jusqu’à l’excès, de la production des vins en France et dans le monde.
Pour les raisons évoquées dans un billet antérieur « La question du soufre », on tend aujourd’hui dans une perspective hygiénique associée à un élitisme viti-œnologique, à abaisser les doses, jusqu’à sa suppression totale. La mention sur les étiquettes « contient des sulfites » est devenue obligatoire à partir de 10 mg de soufre total/litre.
La volonté salutaire de limitation ou de suppression de cet intrant, s'est traduite par l'apparition de nouveaux types de vins effervescents ou tranquilles (rouges, rosés, blancs) auto-proclamés "vin Naturel" avec peu de soufre ajouté (3) et "vin Nature", sans soufre ajouté.
RETROUVER UNE NATURE PERDUE
Le courant Nature souhaite renouer avec les modes de production anciens, sans chimie et retrouver dans le vin une nature perdue, la pureté, l’authenticité du Terroir.
Il prospère sur le terreau d’une viticulture globalement sourde à la nécessité d’abandonner les pesticides de synthèse et soumise aux exigences du productivisme et de la rentabilité immédiate.
Ces nouveaux vignerons, qualifiés d’artisans-vignerons, souvent peu connus, sur de petites surfaces (< 25 ha), certifiés Bio et Biodynamie mais pas toujours, ont choisi une autre voie. Certains sont des rebelles et n’hésitent pas à sortir du système pour se démarquer des vignerons conventionnels. Ils abandonnent l’AOC pour devenir Vin de France (VDF), pratiquent en général la Biodynamie, s’affranchissent des réseaux de la grande distribution, du négoce et vendent directement à l’export. Leurs discours ou leurs écrits dérangent mais ne laissent pas indifférents les consommateurs. Ils dénoncent les vins trafiqués chimiquement, au goût mondialisé, et réclament l'obligation de mentionner sur les étiquettes les résidus des pesticides de synthèse, les adjuvants œnologiques et les traitements physiques infligés au vin.
Au début de ce mouvement dans les années 2000, alors que le mot Nature porte le message de pureté voire de beauté, beaucoup de cuvées déçoivent les dégustateurs. Rarement une question œnologique suscite autant de débats passionnés parmi les professionnels et les amateurs. Parfois jusqu’au divorce idéologique, comme pour le Bio, opposant les fervents du vin Nature et les opposants farouches.
Le vin Nature procède-t-il d’une voie technique inaccessible, ne serait-il qu’un rêve philosophique, éthique, exploré par de "doux rêveurs" comme furent qualifiés les premiers Bio ?
Ou bien est-il une nouvelle niche commerciale, une machine à vendre ?
Ou encore explore-t-il un champ œnologique nouveau et pertinent dans la continuité d’une viticulture propre (Bio et Biodynamie) favorable à la qualité ? Affirme-t-il encore plus, quand la nature est bien conduite, l’authenticité de l’origine, la vérité du Terroir ?
Après bientôt deux décennies de dégustation de ces vins, de rencontres avec des vignerons pionniers ou nouveaux venus, nous essayons de répondre à ces questions.
LA PIRE NATURE
La presse, les cavistes (Paris, Londres…) et quelques amateurs branchés, encouragent à partir des années 2000 la production de vin Nature. Quelques crus devenus des références incontournables commencent à se faire remarquer sur la carte des restaurants les plus réputés du monde. Ce courant progresse en réaction à la chimie dans l’alimentation mais au début, pour beaucoup de vignerons tentés par l'expérience, c’est l’inconnu. Des apprentis-sorciers parés des plus belles intentions se lancent dans l’aventure et nombre de cuvées marquent un retour en arrière œnologique. Elaborer du vin sans soufre demande des connaissances et une pratique que chaque vigneron doit tester et adapter à son cru, à chaque millésime. Au même titre que pour la conversion AB. Ainsi découvre-t-on des vins Nature au profil sensoriel dévié : nez oxydé (pomme blette, éventé…) voire acétique ou bien présentant des odeurs animales fortes, dites "Brett" (suint, écurie, basse-cour…) (5). Et en bouche, une usure précoce associée à un assèchement en finale. L’image du vin Nature est écornée. Les œnologues pris de court par cette mode montent au créneau et dénoncent ce nouvel engouement, répétant à l’envi qu’il est impossible de faire du vin sans soufre sous peine de le livrer à ses démons naturels. Tout comme il fut avancé à l’époque que cultiver la vigne sans pesticides de synthèse est impossible, particulièrement à Bordeaux. Ils ajoutent que dans un contexte de réchauffement climatique et une baisse consécutive de l’acidité, les vins réclament des doses accrues de soufre pour obtenir la même efficacité ! (4). Arnaud Immélé, célèbre œnologue alsacien déclare dans son ouvrage: Les Grands Vins sans Sulfite « Ce que les adeptes de la fermentation naturelle appellent le goût du terroir se réduit à un mélange d’acétate (début de piqûre), d’odeurs phénolées et d’acétamide. Les vins produits de cette manière se ressemblent quel que soit le terroir » !
Le débat fait rage. Les intégristes du Nature et les tenants de l'utilisation du soufre protecteur s’écharpent dans la presse. Ces derniers affirment que si l’on veut retrouver les défauts du passé, le vin Nature est une voie royale. Il leur est répondu qu’il faut s’en accommoder comme témoin de la pureté hygiénique du vin ! Effectivement, rien n’empêche d’accepter une nature déviante, d’aimer le vin libre, non protégé et de ne pas tarir d’éloges pour une bouteille que d’aucuns verseraient dans l’évier ! Cette conception de quelques irréductibles du vin Nature a porté un énorme préjudice, du moins au début, à cette nouvelle pratique.
La tolérance à ces défauts dépend des seuils de chacun mais elle est aussi culturelle. Les dégustateurs asiatiques seraient plus enclins à les accepter voire à les aimer. En Europe, depuis un demi-siècle, les professionnels ont habitué l’amateur à des vins de la plus grande pureté aromatique en éliminant, autant que faire se peut, les odeurs (5) qui ne sont pas admises par le plus grand nombre. L’amateur n’est pas près de se réjouir d’une nature débridée dans le verre.
FAUX BIO ET FAUX NATURE
Rien n’interdit à un vigneron conventionnel de faire une cuvée Nature. Certains ne se gênent pas, laissant le consommateur incrédule faire l’amalgame avec une démarche Bio. Comment prétendre à un vin Nature s’il contient des résidus de pesticides ou d’intrants oenologiques ?
Ces faussaires du Nature peuvent avoir recours à des palliatifs du SO2 pour minimiser les risques d'oxydation. En ajoutant de l’acide ascorbique (antioxydant) et de l’acide sorbique (antimicrobien), sans obligation de l’indiquer sur l’étiquette, on obtient un équivalent de la double fonction protectrice du SO2.
A la mise en bouteille, on peut faire en plus une filtration stérilisante ou un traitement à chaud (flash) qui éliminent toute vie microbienne mais qui fatiguent le vin et lui demandent du temps pour se reconstruire.
Donc, autorisez-vous l’expérience du vin Nature exclusivement avec des vins certifiés Bio et en Biodynamie, qui bannissent ces pratiques palliatives.
LES SECRETS DU VIN NATURE
JULES CHAUVET ET MARCEL LAPIERRE : LES PIONNIERS
Il est tout à fait admis aujourd’hui d’abaisser les doses de sulfites mais les exemples de suppression totale, réussie pour toutes les cuvées du vigneron, ne sont à ce jour qu’anecdotiques. Ils ne concernent qu’une minorité de crus en France, au nord de l’Italie..., le plus souvent chez des vignerons en Bio et en Biodynamie. Ces derniers, motivés par leurs convictions et leur savoir-faire pour produire sans chimie, sont les premiers à pouvoir maîtriser le difficile processus du vin Nature.
Evidemment, le vin Nature relève d’une production élitiste. On ne peut pas demander à un vigneron qui ramasse à la machine des vendanges pourries et chaudes de se passer de soufre. Ce serait une catastrophe. Une grosse partie de la production française est récoltée de cette façon, surtout dans les millésimes difficiles.
Pour la petite histoire, il faut remonter aux années 1960 où quelques vignerons aux convictions prémonitoires se révoltent courageusement contre l’industrialisation à outrance de la viticulture (mécanisation lourde, « chimisation » de plus en plus violente) comme Jules Chauvet à Morgon, Henry Jayer en Bourgogne, Jean Pierre Amoreau à Bordeaux...
Négociant et vigneron, chercheur et dégustateur chevronné, Jules Chauvet (1907 – 1989) défend une viticulture lavée de tout intrant (engrais et pesticides de synthèse, intrants œnologiques). Pour s’exonérer de sulfites en vinification, qu’on utilise à cette époque sans limites, il invente avec Michel Flanzy la macération carbonique (6) de son gamay et ouvre la voie du vin Nature. La bonne acidité de ce cépage et la vinification sous CO2 présentent de gros avantages pour se passer de soufre.
Dans son memento de vinification en rouge publié en septembre 1960 dans le Bourguignon Viticole, on lit : « Les médicaments sont destinés aux malades. Le jus de raisin contient tous les principes nécessaires à la vie de la levure alcoolique et il est inutile de prévoir l’utilisation d’intrants…sauf dans des cas particuliers clairement définis. Le sulfitage n’est pas indispensable mais souvent nécessaire. L’idéal serait de ne pas sulfiter : il faudrait alors être sûr de la vendange et de soi-même »
Il écrit par ailleurs « Nature est un mot magique ! Il faut savoir la contrôler car la nature ne fait pas de cadeau » et affirme que les levures indigènes et les lies communiquent au vin sa colonne vertébrale et tous les moyens naturels pour acquérir une stabilité.
Ce que la communauté des œnologues a jusqu’ici réfuté, surtout concernant la flore indigène. Les choses sont en train de changer car la démonstration qualitative des plus grands vignerons Bio et Biodynamie vénérant leur flore autochtone (et leurs lies), ne devrait pas laisser les scientifiques indifférents.
Marcel Lapierre à Morgon – formé par Jules Chauvet – puis son épouse Marie et ses enfants Camille et Mathieu sont les précurseurs du mouvement. A travers la qualité, la stabilité et la longévité de leur Morgon Nature, ils confirment que cette voie de salubrité viti-vinicole a un sens. Emules de ces pionniers, Jean Foillard (Morgon), Yvon Métras (Morgon), Mark Angeli (Loire), Olivier Cousin (Loire), Pierre Overnois (Jura)…se distinguent dans cette spécialité.
Depuis une dizaine d’années, alors que la mode du vin Nature fait florès, de plus en plus de vignerons en Bio et en Biodynamie en France et ailleurs, s’illustrent dans le vin Nature parfaitement réussi.
Liste non exhaustive en fin d'article
L’ITINERAIRE DU VIN NATURE
Pour beaucoup d’oenologues la vinification sans soufre reste énigmatique. Convaincus par la dégustation de quelques vins Nature après plusieurs années de vieillissement, nous avons cherché à en savoir plus, à comprendre les itinéraires. Une visite à Morgon chez Mathieu Lapierre ; des échanges nourris avec plusieurs vignerons comme Fred Niger du Domaine de l’Ecu AC Muscadet, Pascal Amoreau du Château Le Puy en AC Côtes de Francs, Nicolas Despagne du Château Maison-Blanche AC Montagne Saint-Emilion, David Barrault du Château Tire Pé AC Bordeaux, Gilles Bayle à Vineam…, nous éclairent sur les itinéraires possibles du vin Nature.
Le vin sans soufre est un challenge de pureté, d’intégrité du vin, qui s’impose à certains vignerons dans la continuité du Bio et de la Biodynamie. Les modes de vinification peuvent être variés : macération carbonique en grappes entières ou cuvaison normale de raisins égrappés avec ou sans remontage (méthode ancienne du chapeau immergé) pour les rouges ; macération pelliculaire pré-fermentaire ou pressurage direct pour les blancs tout autant que les récipients d’élevage : cuve en ciment ou en inox, fût, muid, foudre, jarre ou amphore…Ce dernier contenant en terre cuite, inerte à la différence du fût de chêne, de porosité variable selon l’argile et le type de cuisson, redécouvert depuis quelques années (7), commence à fleurir dans les chais et semble bien adapté à l’élevage sans soufre (8).
Le recours à la flore indigène et à l’élevage sur lies (avec bâtonnage ou pas) s’avère fondamental. Il est revendiqué par tous. Quelques préceptes connus pour élaborer des vins de qualité reviennent dans le discours : vieilles vignes, petits rendements, état sanitaire parfait des raisins, juste maturité respectant l’acidité, hygiène drastique dans le chai...Ce qui est nouveau, véhiculé déjà par la Biodynamie, mais ici poussé à l'extrême, concerne les interventions minimales sur le raisin et le vin : pressurage pneumatique lent des blancs, voire très lent ; pigeage des rouges avec les pieds. On peut même aller jusqu’à la suppression des remontages, du soutirage, du débourbage…les pompes peuvent être bannies et le cas échéant remplacées par une cuve élévatrice et la gravité... Ce non interventionnisme apparaît fondamental pour ne pas contrevenir aux équilibres naturels, à l’intégrité de la flore indigène et des lies, clés de voûte de la méthode.
En l’absence de sulfites, le système enzymatique naturel fonctionne à plein. Au contact des lies, le vin acquiert tous les éléments de sa richesse, de sa complexité et les substances antioxydantes propres à le stabiliser durablement.
En Biodynamie, l’application de préparations de plantes (macération, décoction…) dynamisées (9) sur la vigne autant que la dynamisation du vin lui-même au cours de l’élevage, apportent en plus l’Energie, l’Information, les Vibrations, qui renforcent les défenses du vin. Aussi ésotériques soient ces propos puisque pour l’heure rien n’est scientifiquement démontré, les effets sur la qualité du vin et sur sa stabilité microbiologique sont toutefois démontrables par l’expérience de la dégustation et les analyses.
Et la question des "Brett" (5) ? Comment expliquer que de plus en plus de cuvées Nature en rouge ne présentent plus ce désagrément qui au départ, a plombé la réputation du vin Nature ? Réponse de Nicolas Despagne « La vie foisonnante ne laisse pas trop la parole aux Brett ». La biodiversité tant à la vigne que dans le vin, est garante d'un équilibre protecteur.
Ce n’est qu’à force de rigueur, de la vigne au chai, d’attention, d’expérience, de gestes longuement réfléchis, parfois d’échecs salutaires, qu’on aboutit au vin Nature. Rien n’est écrit d’avance, tout ou presque est nouveau tous les ans.
Précisons que les productions exclusives de vin Nature réussi ne sont pas légion ; la plupart des vignerons concernés élaborent aussi des cuvées avec peu de soufre ajouté. La décision d'élaborer du sans soufre peut se prendre avant la mise en bouteille en fonction du millésime, des analyses et d'un test à l'oxydation d'un ou deux jours. S'il y a des risques, alors on en ajoute un peu.
Le groupe Vineam, est un groupe de six châteaux dans huit AOC dont le siège est à Saint Magne de Castillon près de Libourne. La qualité des vins est irréprochable et en plus Sans Soufre Ajouté pour 80% des 1 500 000 bouteilles produites /an et destinées au marché C H R !
UNE RESISTANCE NATURELLE MECONNUE
La confirmation que le vin produit et élevé dans certaines conditions peut s’exonérer de soufre, nous est apportée par la cuvée Barthélémy « Retour des Iles » du Château Le Puy AC Francs - Côtes de Bordeaux en Biodynamie (Demeter). La famille Amoreau (de père en fils depuis 1610), qui n'a jamais utilisé de chimie de synthèse, a une expérience du vin Nature depuis 1994. Cette cuvée – 85 % Merlot, 15 % Cabernet-Sauvignon – est élevée en fût par dynamisation pendant 24 mois, une pratique censée communiquer au vin une énergie protectrice, à toutes épreuves. En effet, à chaque millésime depuis 2012, au bout de douze mois d’élevage, deux fûts partent, bonde de côté, (toujours faut-il le souligner), Sans Soufre Ajouté, pour un voyage de 16 mois au fond de la cale d’un vieux gréement norvégien. Ce périple (10), selon la latitude, fait subir au vin trois étés et deux hivers sans parler des effets mécaniques de la houle.
Bref, les « Retour des Iles » 2012 et 2014 que nous avons dégustés sont parfaitement purs, sans aucune des déviations décrites ci-dessus. Comparativement à celui qui n’a pas quitté les chais, on note une légère évolution de la couleur et un assouplissement notable des tanins, comme si le vin avait vieilli prématurément mais de façon favorable.
L’analyse chimique comparative des deux vins de 2012 - celle des 2014 sera disponible mi-septembre après la mise en bouteille - est en accord avec la dégustation et ne montre pas d’augmentation de l’acidité volatile (acide acétique ou vinaigre) (12) dans le « Retour des Iles », ni de présence de sulfites ! Ce qui est à peine croyable. On peut vérifier cette performance en consultant les analyses comparées des deux cuvées de 2012 sur le site du Château Le Puy.
Quand on pense aux précautions habituelles prises dans les chais ( sulfitage et autres intrants, climatisation…) pour protéger le vin, on est pour le moins étonné.
Rappelons tout de même que dans le soufre ajouté au vin, seule la partie libre, non combinée à l’oxygène et aux constituants du vin, est active. Au cours du vieillissement en bouteille la partie libre disparaît lentement et au bout d’un certain temps, de quelques mois à quelques années selon la dose initiale et le type de vin, le vin sulfité n’est pas plus protégé que le vin Nature.
STABILITE DU VIN NATURE EN BOUTEILLE
Question conservation, les vins Nature n’ont pas bonne réputation. Les déconvenues décrites plus haut ont chez beaucoup d’amateurs entretenu la suspicion. Pour les éviter, les producteurs conseillent de garder les vins à une température inférieure à 14°C. Certains ne livrent qu’en hiver et à l’export les vins partent en container réfrigéré. Mathieu Lapierre n'élabore que 30% de sa récolte en Nature et les réserve à des clients (restaurateurs en général) dont il est sûr du lieu de conservation.
Certains producteurs de vin Nature déclarent à l’inverse, n’avoir aucun problème de conservation et n’avoir rien à envier à la stabilité du vin sulfité. Le cas spectaculaire du Château Le Puy « Retour des Iles » en est une preuve éloquente et je veux bien le croire, oh ! combien troublante.
DEGUSTATION COMPAREE AVEC ET SANS SOUFRE AJOUTE
Même à des doses raisonnables (< 50 mg/litre SO2 total), il est communément admis que les sulfites peuvent retenir l’expression des arômes, resserrer les tanins et durcir plus ou moins la fin de bouche par la présence de sulfates.
Les fervents du Nature considèrent que le vin Sans Soufre Ajouté est toujours au-dessus, avec des arômes plus intenses, plus diversifiés (libres), que la matière est plus fluide, plus souple et que la signature du Cru, de son Terroir, est optimale.
Gilles Trimailles, excellent dégustateur, membre du comité de dégustation du magazine Bourgogne-Aujourd’hui, déclare « J’applaudis des deux mains quand les vins Nature sont réussis, mais je préfère le côté réducteur et retenu des arômes dans les vins modérément sulfités. Dans le Nature, tout est dévoilé, montré, ouvert, il y a moins de complexité. Tout, tout de suite pourrait être la devise du vin Nature ». Un autre dégustateur ajoute « Les vins Nature ne sont pas fixes mais mobiles, ouverts, ils évoluent vers des références nouvelles, inconnues ».
Nos expériences comparatives confirment globalement ces propos mais de manière plus nuancée. Les avis peuvent être partagés quant aux deux types de vin.
On a constaté qu’à l’ouverture, le vin Nature présente souvent des notes de réduction, à type H2S, ail, chou-fleur… alors que le vin sulfité peut en être exempt. Pourtant le Nature est censé contenir moins de composés soufrés (thiols) (12) responsables de ces odeurs ! Autre surprise, ces notes nauséabondes sont fugaces alors qu’elles persistent quand le vin soufré en possède !
C’est pour cela que les producteurs de vin Nature insistent pour que leur vin soit mis en carafe à l’avance.
DES SUJETS DE REFLEXION SINON DE RECHERCHE
D'abord, il faut se méfier des usurpateurs du Nature - faux Bio et faux Nature - et ne pas se laisser détourner de la vraie qualité à cause de ce mot magique. La naturalité n'est pas toujours synonyme d'esthétique du goût telle que nous la concevons en Occident. Pour être un geste hygiénique louable, le vin Nature élaboré sans filet doit être indemne de défauts.
Le vin Nature est un challenge de qualité que sont à même de relever les vignerons en Bio et en Biodynamie. En continuité d'une viticulture propre, le vin Nature est un aboutissement logique en même temps qu'une expérience oenologique nouvelle. La flore indigène, les lies, la dynamisation des préparations à la vigne et du vin lui-même, participent de ces phénomènes méconnus stimulant les résistances et rendant la vigne comme le vin autonomes. Que de sujets de réflexion sinon de recherche !
Le vin Nature réussi ne doit pas faire ombrage au vin avec un peu de soufre ajouté ; surtout quand les deux sont élaborés par le même vigneron. Selon notre expérience de dégustation les différences entre les deux ne sont pas significatives. On aurait tort de se priver des vins ayant reçu un peu de soufre. D'autant que, excepté pour les allergiques, la toxicité du soufre est négligeable voire pour certains infondée.
Liste non exhaustive des vins Nature à la fin de l'article
(1) Le soufre peut naturellement être produit par les levures alcooliques ou provenir du traitement des vignes contre l’oïdium. Aussi, un vin Nature (Sans Soufre Ajouté) peut avoir l’obligation de mentionner « contient sulfites » à partir de 10 mg de soufre total / litre. Il faut préciser que ce soufre naturel a une forme combinée (dont SO4) et ne présente aucun danger pour les personnes sensibles.
(2) Le Claret, ancêtre du rosé actuel, du moins par la couleur, est issu du mélange de raisins rouges et blancs – les cépages sont plantés en foule sans distinction, jusqu’à 20 000 ceps/ha – foulés au pied. Fermenté en fût il est vendu en vrac dans les tavernes. C'est l’ancêtre du New French Claret issu de la cuvaison des raisins rouges exclusivement.
(3) Pour l’heure la mention « Naturel » sur l’étiquette n’a aucune définition légale et n’oblige pas à indiquer la dose de sulfites totaux. Seule, l’Association des Vins Naturels (AVN), une initiative privée, réunit des vignerons certifiés Bio (et Biodynamie) qui disent limiter l’introduction de soufre total à 20 mg/l pour les rouges et 30 mg/l pour les blancs.
(4) A ph 4 il faut dix fois plus de soufre pour avoir la même efficacité qu’à ph 3.
(5) Odeurs de réduction (H2S); de moisi venant du raisin ou du chai; odeurs végétales issue du raisin pas mûr; odeurs phénolées de vendanges pourries (notes pharmaceutiques) ou odeurs animales dites "Brett" (suint, putride, écurie, animal…) provenant de la prolifération d’une levure (Brettanomyces) naturellement présente sur le raisin et/ou dans les chais….
(6) La technique consiste à mettre les grappes entières (non éraflées) et non foulées, dans une cuve hermétique saturée de CO2. Il se produit alors une fermentation intracellulaire.
(7) En 2000, il ne restait que quelques vignerons à utiliser ce mode historique d’élevage en jarres enterrées (kvevris ou qvevris) ou en amphores, en Croatie, Géorgie, Slovénie, Sicile et en Italie (Frioul : Jasko Gravner, Elisabeth Foradori…)
(8) Au Domaine de l’Ecu (Muscadet) tout est vinifié en amphores. « La neutralité de la terre cuite respecte la pureté du fruit et l’expression du terroir. La circulation naturelle des lies favorise la complexité des vins » Fred Niger.
(9) La dynamisation, principe cher à la Biodynamie, communique une force, une efficacité aux solutions de substances naturelles (bouse de corne, silice de corne, décoctions ou tisanes de plantes…) épandues sur le vigne. Soit à la main, soit mécaniquement, il s’agit de faire tourner le liquide pour créer un vortex – tourbillon creux au centre du liquide – cassé régulièrement, horaire et antihoraire, censé provoquer une dynamisation des éléments par l’action conjointe des forces cosmiques et telluriques.
(10) Douarnenez, Lisbonne, Cap-Vert, Bélem, Barbade, Açores, Falmouth (GB), Amsterdam, Copenhague et Douarnenez.
(11) Acidité Volatile de Barthélémy 2012 : 0,63 g/l H2SO4 ; Barthélémy « Retour des Iles » 2012 : 0,68 g/ H2SO4.
(12) Même si la levure alcoolique en produit naturellement et que le vin peut contenir des résidus du soufrage de la vigne contre l’oïdium.
VINS NATURE
Les domaines en griset, sauf erreur, ne produisent que du vin Nature (Sans Soufre Ajouté). Les autres offrent, en plus d’une ou plusieurs cuvées Nature, des cuvées avec peu de soufre ajouté.
Liste non exhaustive établie avec la complaisance de Guy VATUS, négociant à Bordeaux et de Pierre-Antoine THIOT, responsable de Latitude20, la cave de la Cité du Vin à Bordeaux.
AC Appellation Contrôlée, AB Agriculture Biologique, BD Biodynamie, VDF Vin De France
BEAUJOLAIS
CHANUDET Jean Claude, Domaine Chamonard,AC Morgon, AB
DUTRAIVE Jean Louis, AC Fleurie et Morgon, AB
FOILLARD Jean, AC Morgon, en conversion,
JAMBON Philippe, VDF, Chasselas (71), AB
LAPALU J Ch, Brouilly, AB
LAPIERRE Marie, Camille et Mathieu, AC Morgon, AB
LAPIERRE Marie, CHANUDET Jean Claude, Château Cambon, AB
PERAUD Isabelle et Bruno, AC Moulin à Vent AB,
ROBERT Nicolas, Domaine Robert Denogent, AC Beaujolais, en conversion.
METRAS Yvon, AC Morgon, pas certifié
THEVENET Jean Pierre, AC Morgon, en conversion
BOURGOGNE
DERAIN Dominique, AC Saint-Aubin, BD
GIBOULOT Emmanuel, AC Beaune…,BD
NICOLAY Francois, Domaine Chandon de Brailles, AC Mercurey…, BD
ROCH Henry-Frédéric, Dom Prieuré Roch, AC Nuits Saint-Georges, Vosne-Romanée,…BD
ALSACE
FRICK Pierre, BD
MEYER Patrick, AB
MEYER Julien, AB
REITSCH, BD
ZUSSLIN Marie, AC Crémant d’Alsace, 4 cuvées, BD
LOIRE
AUTRAN Michel, AC Vouvray, BD
BAIN Alexandre, AC Pouilly Fumé, BD
BRETON Pierre et Catherine, AB
COSTE Mathieu, AC Côteaux-du-Giennois, AB
COURTOIS Claude et Etienne, AC Tourraine et VDF, BD
COUSIN Olivier et Baptiste, Martigné-Briand (49), VDF, AB
DITTIERRE Sylvain, AC Saumur, BD ?
LEMASSON Olivier, AC Touraine,BD
MORANTIN Noellat, AC Tourraine, AB
MOSSE René, AC Cheverny, AB
NIGER Frédéric, Domaine de l’Ecu, AC Muscadet et VDF, BD
PUZELAT Thierry et Jean-Marie, AC Tourraine-Cheverny AB
VILLEMADE Hervé, AC Cheverny, AB
ANGELI Mark, Domaine de la Sansonniere, Thouarcé (49), VDF, BD,
LENOIR Jérôme, AC Chinon, AB
JURA
BORNARD Philippe, AC Arbois, BD
GANEVAT Jean Francois, AC Côtes du Jura, BD
MOREL Valentin et Louis, AC Côtes du Jura, AB
OVERNOIS Pierre et Emmanuel HOUILLON*, AC Arbois-Pupillin, AB,
TISSOT Benedict et Stéphane, AC Arbois, BD
AQUITAINE
ALIAS Laurence & CHOIME Pascale, Les Closeries des Moussis, AC Haut-Médoc et Margaux, BD
AMOREAU Pascal, Ch Le Puy, AC Côtes de Francs, BD
BARRAULT Denis, Ch Tire Pé, AC Bordeaux, Cuvée Tire Vin Vite, AB
CARLES Isabelle et PASCAL Franck, Jonc Blanc, V D F et AC Bergerac, AB
CLAUZEL Caroline et Laurent, Ch la Grave Figeac, AC Saint Emilion GC, cuvée l’Essai, AB
De CONTI Luc et Francis, AC Bergerac, 2 cuvées et VDF pétillant, BD
DESPAGNE Nicolas, Ch Maison Blanche, 4 cuvées Nature : Rapin, Vinum Simplex (CS et M), Maison Blanche), AC Montagne Saint Emilion, BD.
MARQUET Mathias, AC Bergerac, AB
PLAGEOLE Robert et Bernard, AC Gaillac, AB
SOULA JB & BAYLE Gilles, groupe Vineam, 6 crus, 8 AOC, 80% du volume en Nature > 1 M de bouteilles ! AB
CÔTES DU RHÔNE - PROVENCE – LANGUEDOC – ROUSSILLON
ALQUIE Jean Michel, AC Faugères, BD
ANDRIEU Carole, Clos Fantine, AC Faugères, AB
COUTELOU Jean François, AC Languedoc, AB
DUCHENE Bruno, IGP Côtes Vermeille, AC Collioure, BD
IZARN Cathy, Domaine Borie de la Vitarelle, AC Saint Chinian, BD
LAURENT Maxime-François, Domaine de Gramenon, AC Côtes du Rhône, BD
MILAN Henri, V D F (Provence), AB
RICHAUD Marcel, AC Côtes du Rhône - Cairanne, AB
VIRET Alain et Philippe, AC Côtes du Rhône et VDF, BD
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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