17 Décembre 2016
Une approche de 2016 après les écoulages (1)
RESUME
2016 voit deux extrêmes climatiques se succéder. Six mois de pluie à partir de janvier puis un climat méditerranéen de fin juin à fin septembre. Un déroulé climatique inédit qui fait craindre le pire tout au long du cycle.
Après une floraison généreuse et aboutie, l’humidité de juin convoque le mildiou qui se déchaîne et occasionne des pertes de récolte parfois notables. De plus, le millésime s’annonce tardif, ce n’est pas de bon augure.
Fin juin, changement radical de décor. La vigne est soumise jusqu’à mi-septembre à un régime très sec et très chaud, voire caniculaire. La végétation est abasourdie, elle se met en mode survie en bloquant sa physiologie, ce qui accentue le retard.
Bonne surprise, les vignes, excepté les jeunes, supportent très bien ces conditions sahariennes grâce aux nappes phréatiques superficielles largement alimentées pendant l’hiver.
Mi-septembre, des pluies heureuses accélèrent les maturations et, point capital, les vendanges de tous les types de vins se déroulent sous un beau soleil, avec des températures élevées pour la période et - grande chance - des nuits fraîches.
Les perspectives changent et on parle de «grand millésime».
Après les écoulages, les professionnels n’hésitent pas à évoquer une qualité comparable à celle de 2015, de 2009 et même de 2010 ! On va jusqu’à faire référence à des millésimes (2) de grande sécheresse et de surchauffe que les anciens ont vécus au siècle passé…
On se prend à rêver mais attendons le mois d’avril pour avoir un avis plus précis.
PS Pour laisser un commentaire voir à la fin de l'article
DEROULE DU MILLESIME
Le millésime débute après deux mois d’un climat doux et excessivement pluvieux, surtout en janvier et février. De janvier à fin juin, il tombe 500 mm de pluie, les 3/4 de la pluviométrie annuelle. Les nappes phréatiques superficielles sont rechargées à bloc.
La vigne débourre fin mars et pousse lentement en avril dans un contexte frais et peu ensoleillé (-1°C / Normale* et - 20 heures / N)
A part quelques terroirs gélifs, Bordeaux, à la différence de la plupart des régions viticoles françaises, échappe au gel fin avril. La sortie (nombre de futures grappes/cep) est bonne, voire très bonne.
Mai est toujours pluvieux (+ 15% / N) et peu ensoleillé (- 28 h/ N
Juin encore plus (+ 20% / N), toujours frais (- 1°C / N) et peu ensoleillé (- 59 h / N).
Les premières fleurs apparaissent fin mai dans un contexte qui fait craindre la coulure – non fécondation des fleurs -, de triste mémoire en 2013 et 2002. Du 7 au 12 juin une période sèche et relativement chaude est propice à la floraison qui s’étale du 10 au 20, avec peu de décalage entre les merlots et les cabernets. Malgré une nouvelle période fraîche du 11 au 19, qui retarde la fin de la floraison des cabernets, on ne constate pas de coulure.
La menace d’un millésime tardif est confirmée. On assiste dans ce mois de juin à une attaque de mildiou d’une rare violence. Certains crus subissent des dégâts significatifs sur les raisins et donc des pertes de récolte. On craint le pire.
La pluie s’arrête enfin le 18 juin tandis que le thermomètre gagne 10°C.
L’été s’installe durablement le 25 et il ne pleuvra plus, ou très peu, jusqu’au 12 septembre. L’invasion du mildiou est stoppée.
En juillet, il tombe 13 mm contre 50 mm en moyenne avec une température normale mais avec des accès caniculaires entre 38°C et 40°C, les 17, 18 et 19.
Août est aussi sec, 11 mm contre 56 mm en moyenne, avec un ensoleillement optimal (+ 30% / N) et très chaud (+ 5°C / N !) avec deux pics thermiques du 12 au 17 et du 22 au 27. Les jeunes vignes, surtout sur sol filtrant (sablo-graveleux), sont assommées. La véraison (changement de couleur des raisins), qui se produit autour du 15 août est poussive. Le vignoble souffre mais supporte néanmoins ces conditions extrêmes grâce aux réserves d’eau accumulées en hiver.
Début septembre, avec le maintien de ces conditions de sécheresse et de chaleur (+ 3°C / N pour le mois et des pics records > 36°C), la maturation fait du sur-place. Deux journées pluvieuses (entre 20 et 40 mm selon les endroits) tant attendues, les 13 et 14, débloquent les maturités. Les vendanges se généralisent le 20 sous un soleil radieux (25° à 30°C). Les nuits fraîches (10 à 12°C) contiennent les attaques de mauvaise pourriture (grise) et sont favorables au maintien d’une bonne acidité.
Les blancs secs sont cueillis du 1er au 25 septembre ; les merlots après l’épisode pluvieux, à partir du 22 et surtout entre le 26 et le 30, sous un soleil magnifique.
Le mois d'octobre est exceptionnel avec une pluviométrie basse 11 mm / 93 en moyenne. Le 3, presque dans la foulée des blancs, toujours avec un temps rêvé, on récolte les cabernets à point, sans oublier les petit-verdot qui sont remarquables.
Les blancs liquoreux (Cadillac, Cérons, Loupiac, Sainte-Croix du Mont, Sauternes…) profitent de cet été indien. Les pluies de mi-septembre ont lancé le botrytis et le raisin s’est lentement concentré. Les vendanges sont longues, se font en 4 ou 5 tris étalés de fin septembre jusqu'à début novembre. La récolte est généreuse avec une large palette de raisins passerillés, pourris plein (milieu de la récolte) et, ça et là, concentrés par un joli botrytis. Les degrés très satisfaisants oscillent entre 18° et 23°, selon les tris. L'acidité est normale.
* température moyenne diurne. Normale : moyenne de 1981 à 2010. Station Météo Mérignac.
Le millésime en Bio (3)
Comparées à leurs voisins en conventionnels, les vignes des crus en Bio (ce terme recouvre aussi les pratiques en Biodynamie) résistent mieux à la chaleur, à la sécheresse et leur maturité est plus précoce.
La majorité des viticulteurs en Bio ne font pas de vendanges vertes (4). La résistance au mildiou, d’une rare violence cette année, supérieure encore à 2015, a été variable. Comme les Bio n’utilisent que des produits de contact (5), tels que la bouillie bordelaise, les tisanes et décoctions de plantes…, la pluie incessante de juin a rendu la protection difficile. Surtout pour les grandes propriétés (> 50 ha) qui doivent s’équiper et s’organiser avec une puissance de feu raccourcie pour couvrir la totalité des vignes dans la journée. Si après le traitement, il pleut toute la nuit et que les conditions sont favorables au développement du champignon, il faut intervenir à nouveau le lendemain.
Sauf exception, les Bio produisent en 2016 moins que leurs voisins en conventionnels. Les rendements s’échelonnent de 30 hl/ha à 60 hl/ha avec une moyenne de 45 hl/ha, ce qui n’est tout de même pas mal.
La plupart des vignerons Bio utilisent les levures de leur cru (indigènes) alors que d’autres, beaucoup plus rares, plus prudents (6), faisant fi de « l’effet terroir » de la flore locale, ont recours aux levures Bio du commerce.
PROMESSES DE QUALITE
Il est rare qu’un millésime, même grand, ne rencontre pas de difficultés tout au long de sa gestation. Les millésimes « chaises longues », comme 2005, sont rarissimes. 2016 a son lot d’obstacles : six mois de pluie, mildiou traitre et virulent, vers de la grappe en fin de maturation, blocage de maturité induisant des degrés insuffisants, parfois des degrés élevés jamais vus en rouge, grillure ou échaudage des raisins, pourriture grise dans les vignes surchargées…
Tous ces éléments, vus au départ comme des points faibles du millésime, se sont finalement avérés être des atouts, du moins pour ce qui concerne le climat extrême, humide à l’excès au début puis saharien.
Il est clair que les tables de tri manuel et les machines à tri optique ou par densimétrie, ont été favorables à l'élimination les baies endommagées par le mildiou et la surchauffe, et pour obtenir ainsi la meilleure qualité possible.
Vins blancs secs
Tous les paramètres sont présents pour une réussite des blancs secs. Les contraintes hydriques et caniculaires ont concentré les jus et écarté, a priori, le caractère herbacé trop souvent présent dans les vins blancs de sauvignon.
Vins rouges
Après les écoulages, on peut noter les signes prédictifs de la grande qualité du millésime :
- Une maturité complète de tous les cépages, particulièrement des tanins des pellicules et des pépins dont on perçoit à la dégustation des raisins, début septembre, le goût de noisette.
- Une absence de goûts végétaux dans les vins grâce aux pics thermiques qui ont dégradé les pyrazines.
- De petites baies, principalement sur les cabernets, ce qui diminue dans la cuve le rapport jus / marc (pellicule, pépins) et augmente la richesse du vin (structure et arômes). A l'écoulage, les volumes sont souvent inférieurs voire bien inférieurs aux prévisions.
- Une acidité bien présente grâce aux nuits fraîches de septembre et début octobre : c’est la grande et bonne nouvelle du millésime. Elle aura la vertu de contrebalancer les degrés plutôt élevés, autour de 14°.
- Un état sanitaire parfait.
Tous ces éléments laissent présager des vins rouges très concentrés, avec un potentiel tannique et aromatique de très haut niveau et assortis d’un bel équilibre.
Après les vendanges, les vignerons et les oenologues sont discrets sur la qualité des vins rouges.
Aujourd'hui, les langues se délient et affirment unanimement l'énorme potentiel des vins rouges, citant des ressemblances avec 2015, 2009 et même avec l'exceptionnel 2010. D'aucuns vont encore plus loin rapportant les mensurations extraordinaires des vins - tannins, acidité, degrés - et parlent de « jamais vu » ! On se prend alors à revisiter les millésimes d'exception du siècle passé jusqu'à 1945. On constate que ce sont tous (2) des millésimes solaires, parfois de surchauffe, avec une grande sécheresse pendant deux ou trois mois comme en 2016. Bien sûr, il ne s’agissait pas des mêmes vignes, des mêmes hommes, des mêmes rendements et les pesticides de synthèse n’avaient pas cours avant les années soixante...
Mais on a toujours le droit de rêver !
Vins blancs liquoreux
Ils sont aussi de la fête grâce à l'été indien qui concentre le botrytis. Les vendanges s’échelonnent de mi-septembre à mi-novembre sous un beau soleil. Les baies passerillées (séchées comme des raisins de Corinthe) côtoient les dorées et les botrytisées. Un mélange de bon augure pour la richesse et la complexité du vin futur tel qu'il en fut en 2007, 2003 et 2010.
La promesse heureuse d’un très grand millésime en 2016, se profile. Les dégustations primeur du mois d'avril nous permettront de le qualifier avec plus de précision. Même s'il faut toujours être prudent dans ce genre d'exercice prévisionnel six mois à peine après les vendanges.
(1)Séparation du vin de goutte et du marc, après la fermentation alcoolique. Celui-ci coule par gravité et laisse le marc au fond de la cuve
(2) 2000, 1990, 1989, 1982, 1961, 1959, 1955, 1953, 1949, 1947, 1945.
(3) Les informations proviennent d’une vingtaine de viticulteurs référents régulièrement visités depuis plusieurs années.
(4) Cette pratique contre nature est apparue nécessaire pour contenir les rendements des clones productifs plantés après les gelées de 1956, lesquels sont majorés chez les conventionnels par l’usage des pesticides de synthèse qui augmentent la vigueur
(5) A la différence des conventionnels qui épandent des substances anti-mildiou de synthèse (entre 2 et 9) dont certaines sont systémiques. Elles pénètrent dans les tissus, sont véhiculées par la sève et assurent une rémanence de plusieurs jours.
(6) La flore indigène pouvant contenir des germes indésirables (levures brettanomyces, bactéries acétiques…), on peut utiliser des levures fermentaires sélectionnées selon certains critères qualitatifs, dites levures du commerce. Ainsi en occupant le terrain rapidement, on empêche la flore nuisible à la qualité de se développer. Le choix des levures indigènes ou des levures du commerce nourrit un grand débat qui n’est toujours pas tranché scientifiquement.
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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