8 Novembre 2015
RÉSUMÉ
La chaleur, la sécheresse et le fort ensoleillement d'avril à fin juillet ont marqué très favorablement le millésime. Un mois d'août humide accélère la maturation et le beau temps de septembre et de début octobre facilite la récolte de raisins mûrs et concentrés. Sans pouvoir encore définir le style des vins rouges, on peut raisonnablement affirmer, après vendanges, que Bordeaux 2015 sera un "great vintage" : une qualité générale, doublée d'un volume très convenable, un contraste saisissant avec les quatre millésimes précédents.
Cette perspective déjà répandue fait vibrer la planète du vin car c'est Bordeaux, surtout vu de l'étranger, qui donne le "la" du millésime en France.
A notre latitude septentrionale, le profil de chaque millésime est différent, ce qui induit globalement un style de vin singulier. Visiblement 2015 s'apparentera aux grands millésimes (2000, 2005, 2009, 2010) mais ne sera pas un clone de l'un d'eux.
PS pour faire un commentaire voir à la fin de l'article en déroulant
UN CLIMAT SEC ET SOLAIRE
La vigne démarre tardivement sa croissance mi-avril. Les pluies et la chaleur relative provoquent un développement précoce du mildiou et du black rot.
Mai est chaud (+ 1,6°/N) et sec (- 57 mm/N). Néanmoins les champignons font des dégâts sur le feuillage et même sur les jeunes inflorescences, anéantissant parfois une partie de la récolte. Le beau temps de la fin du mois et de la première semaine de juin entraîne une floraison rapide, homogène et groupée (peu d'écarts entre les différents cépages). Ce qui laisse l'espoir d'une récolte d'un volume convenable à la différence des millésimes antérieurs.
Juin est très chaud (+ 4°/N), abondamment ensoleillé (+ 25%/N) et toujours sec (- 20%/N). Du 15 juin au 22 juillet, il ne tombe pas une goutte.
Juillet est encore très chaud (+ 3°/N) et sec (- 25%/N) ! Les hommes souffrent mais paradoxalement le vignoble résiste au stress hydrique, même si la véraison (changement de couleur des baies) prend du retard. Les pluies providentielles de fin juillet relancent le métabolisme, la véraison s'enclenche et se fait rapidement avant le 15 août, avec une semaine d'avance.
Août est tout aussi chaud (+2,5°/N), avec un ensoleillement correct mais beaucoup plus humide que la normale (+ 65%/N). Il tombe 70 mm entre le 12 et le 22. La vigne respire, d'autant plus que les nuits sont fraîches. La maturation est lancée et se déroule dans les meilleures conditions avec le très beau temps de début septembre.
Septembre est relativement beau, normalement chaud et ensoleillé, et plutôt sec (-50%/N). A part les onze premiers jours et les sept derniers, il pleut tous les jours un peu, ce qui n'a pas d'effet sur la qualité potentielle des raisins.
La récolte des blancs secs débute fin août pour les terroirs les plus précoces - Y du ch. d'Yquem le 25, ch. Carbonnieux le 27, ch. Haut-Brion le 31 - et se termine en général avant la petite dépression qui commence le 12 septembre.
La cueillette des merlots commence le 10 septembre à ch. Cheval-Blanc, le 15 à ch. Haut-Brion, puis elle se généralise. Les cabernets francs sont cueillis en fin de mois alors qu'on attaque les cabernets sauvignon le 28 à ch. Haut-Brion et à ch. Margaux. Du 2 au 7 octobre un épisode pluvieux perturbe la fin des vendanges mais il ne semble pas avoir altéré la qualité potentielle des raisins.
Une fois n'est pas coutume, les vendanges à Sauternes et Barsac débutent avant les rouges, le 3 septembre à ch. d'Yquem, le 8 à ch. Climens. La pourriture noble se développe rapidement à la faveur de la pluie tombée entre le 12 et le 24 août (70 mm). Procédant à des tries successives, on récolte tout le mois de septembre, sans se presser, un très joli botrytis.
BILAN DE LA VITICULTURE BIO ET EN BIODYNAMIE EN 2015
Un questionnaire adressé à vingt vignerons, permet de dégager quelques constatations générales.
La grande majorité considère avoir été l’objet d’une attaque faible de mildiou et de black rot. Ils ont effectué des traitements au mois d’avril par anticipation, sans attendre les Bulletins de Santé Végétale (1). De ce fait les dégâts ont été en général, moins importants que chez les voisins en culture conventionnelle (utilisant les fongicides de synthèse).
Pour plus de la moitié, la résistance à la sécheresse a été meilleure que celle de leurs voisins et pour les autres, elle a été équivalente.
Huit crus sur vingt n’ont pas eu de pourriture grise. Pour les autres, à l’exception de deux, les dégâts ont été bien jugulés et souvent mieux que par les viticulteurs conventionnels.
La précocité de la maturité, donc des vendanges, est avérée dans la grande majorité des cas (18 crus sur 20), jusqu’à 8 jours d’avance pour deux d’entre eux.
Concernant l’influence de la pluie d’août sur le volume récolté, les avis sont partagés (50/50). Par contre, l’effet positif sur la qualité est unanimement reconnu.
Certains de ces crus font aussi référence à une acidité meilleure pour le vin futur, c’est-à-dire plus élevée que pour la majorité des crus en culture conventionnelle dont certains risquent d’en manquer cruellement.
Question rendement, à part deux crus affichant 20 hl/ha (3), la moyenne générale tourne autour de 40 hl (2). En liquoreux ch. Climens en Biodynamie, annonce 22 hl/ ha, ce qui est proche du maximum autorisé (25).
2015 UN GRAND MILLESIME
Les sept premiers mois de l’année ont été les plus chauds jamais enregistrés sur le globe depuis le début des relevés de 1880. Bordeaux a connu corrélativement une longue sécheresse qui a stoppé la croissance de la végétation, au profit de la concentration des raisins. La pluie salvatrice du mois d’août et le beau temps de septembre feront ainsi de 2015 un grand millésime pour tous les types de vin (blanc sec et liquoreux, rouge). Ce qui signifie, en d’autres termes, que la réussite est générale et que, à la différence des quatre derniers millésimes, les vignerons n’ont pas eu autant à s’investir puisque la nature leur a été favorable.
Au 15 août déjà, la dégustation des raisins, avec leur épaisse pellicule et leur richesse en sucre, laissait augurer du meilleur. Septembre beau le jour, et assez frais la nuit, a permis une fin de maturation lente des tannins (pellicule et pépins), ce qui est un gage d’équilibre et de finesse dans le vin futur.
Une seule ombre au tableau parfois, est le faible niveau apparent de l'acidité des vins rouges (avant la fin des macérations). Ce qui nécessiterait dans certains cas, comme en 2003, un rajout autorisé mais déclaré, d’acide tartrique d'autant que la fermentation malo-lactique en cours ou à venir renforcerait cette tendance.
Difficile encore de se prononcer sur le style des vins rouges avant la fin des vinifications et les premiers mois d’élevage en fûts. Néanmoins, chacun a son avis pour définir 2015 par rapport à ses prestigieux aînés (2000, 2005, 2009, 2010). Des échos fiables évoquent plutôt 2005 ou 2009, sachant que 2015 en rouge ne sera pas une copie de l’un deux.
Les grands vins liquoreux ne sont pas en reste puisque le lignage des grands millésimes antérieurs (2005, 2009, 2010), est aussi avancé.
Les dégustations en primeur d’avril 2016 nous permettront d’affiner notre jugement pour tous les vins de ce millésime.
(1) Emis par les organismes officiels de la protection des végétaux dont la chambre d’agriculture. Ils se substituent aux « avertissements agricoles ».
(2) Faisons remarquer que 20 crus sur 18 sont implantés rive droite, ce qui correspond globalement à la répartition des crus en Bio, très majoritaire sur cette rive. Pour des raisons de nature des sols et de cépage dominant (Merlot), les rendements en rive droite sont en général plus bas que ceux de la rive gauche (Médoc et Graves).
(3) Pour cause de mildiou et/ou black-rot
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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