11 Juillet 2015
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2ème Cru Classé SAINT JULIEN
Tout change et rien ne change !
D’une certaine façon, rien ne change à Château Ducru-Beaucaillou, puisque le terroir au sens géo-pédologique est immuable, éternel. Cette part d’inné qui s’inscrit dans le vin. Il s’agit d’une magnifique croupe de graves roulées « gunziennes » (1), à proximité du fleuve. Ces 75 hectares de « beaux cailloux », classés deuxième cru en 1855, qui ont le secret des vins historiquement produits par le cru.
Et pourtant il y a bien du changement, précisément dans le mode d’exploitation, depuis que Bruno Borie est devenu propriétaire avec sa sœur en 2003. A travers un nouvel acquit, car le Terroir au sens global ne peut s’exonérer de l’influence du producteur. En effet, il ne se résume pas seulement au sol, au sous-sol, au climat et à toutes autres caractéristiques naturelles du lieu, il est aussi la réponse dans le vin à un dialogue permanent de l’homme avec la nature.
Ce nouveau regard de Bruno Borie sur ce terroir renommé repose sur un projet initial : à chaque millésime, grand ou moins grand, tirer la quintessence de cette terre. L’exemple du voisin Château Léoville Las Cases dont la qualité depuis plus de vingt ans tutoie celle des plus grands du Médoc, n’a pu que stimuler le nouveau propriétaire pour rechercher la perfection dans son vin. Manager (2), opiniâtre dans l’effort, perfectionniste et curieux d’esprit, gourmand et gourmet, cuisinier hors pair, amateur d’art contemporain… toutes ces qualités l’ont amené, avec sa valeureuse équipe, à sublimer ce haut lieu de la viticulture médocaine.
A la vigne comme au chai, les techniques ont été adaptées, modifiées, améliorées pour accéder au fait majeur de ce renouveau : enrichir le vin, lui conférer la structure, la puissance qu’impose le goût actuel des grands vins sans nuire à ses équilibres et à sa subtilité, surtout future. Le vin aura en effet de plus grandes capacités encore pour le vieillissement. Le rendement a été baissé de 30% à 40%, voire plus en 2011, par rapport au passé. Le vin n’a pas subi une révolution, mais une évolution juste et prudente sous la houlette des BOISSENOT père et fils, conseils des plus grands crus du Médoc. Ne sont-ils pas les garants d’un « new Ducru » qui ne trahira pas le passé ?
Le temps confirmera assurément le grand dessein qualitatif de Bruno Borie. Dans 10 ans, ou mieux dans 20 ans, les dégustateurs de la planète, les amateurs de grands Saint-Julien, auront la preuve dans le verre. Néanmoins, pour le dégustateur averti, les millésimes du renouveau portent en eux tous les prémices de cette magnificence annoncée.
Cette perspective ne renie pas, loin de là, le passé récent ou plus ancien. Dans les caves souterraines du château reposent au frais et à l’abri de la lumière, tous les millésimes ou presque depuis plus d’un siècle, des témoins toujours vivants des familles (3) qui se sont succédées sur cet illustre terroir.
Pour juger du passé et de l’avenir, il fut offert à douze privilégiés, une verticale de 34 millésimes (4) entre 2010 et 1929. Cette période recouvre en partie l’ère Borie (5) puisque le grand-père acheta le château en 1942, puis ce fut l’œuvre de Jean Eugène et de son fils Xavier, frère de Bruno.
Au château Ducru-Beaucaillou tout change et rien ne change !
1 Le Günz est la première période glaciaire du quaternaire ancien (- 1,2 M / - 750 000) qui, au cours du réchauffement, témoigne d’un dépôt de graves : galets blonds et blancs, silex blancs et noirs, cailloux de grès dur… charriés par le fleuve depuis le Massif Central et les Pyrénées et déposés avec des sables, grossiers et fins, des limons et de l’argile, en hautes terrasses de 6 à 8 m de profondeur, proches du fleuve. Elle constitue, avec le Mindel (période de glaciation suivante de - 650 000 à -300 000) la matrice « native » des plus grands crus de Médoc, de Margaux à Saint-Estèphe en passant par Saint-Julien et Pauillac à proximité de l’estuaire. Sans oublier que d’autres crus plus éloignés vers l’ouest ont pu recevoir à des hauteurs variables cette manne géologique favorable au cabernet-sauvignon.
2 Il a dirigé l’entreprise girondine Lillet de 1985 jusqu’à la vente à Pernod Ricard en 2005.
3 Au 19ème siècle, M. Ducru, propriétaire des lieux, ajouta son patronyme au cru dénommé « Beaucaillou ».
4 Quatre flacons défectueux : 1988, 1976, 1964, 1945 (goût de bouchon, finale dure et asséchante ou autres déviations aromatiques prégnantes) n’ont pas été commentés. Une verticale antérieure (2005) de 14 millésimes comportait aussi - ce qui est courant dans la dégustation des vieux millésimes - 5 flacons déviés dont encore le 1964 et les 1975, 1955 et 1953 dégustés dans la verticale récente et dont le vin était parfait.
(5) Famille d’origine corrézienne arrivée en Aquitaine à la fin du 19ème siècle
DEGUSTATION
Exemples pour la notation et la période favorable de dégustation.
2008 91/100 à déguster à partir de 2018 – jusqu’à 2030 et plus
2007 87/100 de maintenant à 2020 ou plus
1ère Série
2008 Millésime tardif et froid comme 2007 qui démontre le potentiel des grands terroirs associé à une viticulture élitiste.
Nez pur, fermé. Vin immature, prémices d’une belle finesse, joli potentiel. A revoir dans quelques années.
91/ 100 2018 – 2030
2007 Le vin, élaboré en fonction des conditions désastreuses du millésime (pas son pareil depuis 1999) et de la richesse initiale plutôt faible du raisin, est une prouesse viti-œnologique dont seuls les grands crus sont capables. L’ensemble est souple, harmonieux, déjà mature et offre un bel aperçu de la finesse de ce terroir. On dirait un Merlot de Pomerol.
87/100 - 2020
2006 Millésime océanique, assez frais, qui ravi déjà les amateurs de vins fins. Arômes d’une grande subtilité, très purs, encore sur la réserve. Belle densité comparable au 2008. Bon potentiel.
91/100 2015 – 2030
2004 Décrié à la naissance par la critique outre atlantique, il se révèle avec le temps comme un très bon millésime classique (océanique) d’assez bonne garde.
Assez fin au nez. Encore très jeune en bouche. Tanins racés. Un vin en devenir.
89/100 – 2025
2ème Série
2001 Encore un millésime froid, bien « bordelais », qui a fait la part belle au Merlot (grandes réussites) de la rive gauche. La rive droite, malgré son cabernet majoritaire, offre néanmoins des vins remarquables aujourd’hui.
Belle robe scintillante. Le bouquet est riche, d’un registre très complexe, contraste avec une bouche encore ferme, voire un peu dure. A garder encore
90/100 2015 – 2025
1999 Précoce, productif et pluvieux, il appartient aux millésimes les plus modestes de la fin du siècle. Etonnante réussite de DUCRU qui démontre la supériorité des grands terroirs. Vin épanoui, avec beaucoup de suavité, d’élégance et des tanins soyeux. Très grand plaisir immédiat.
90/100 – 2020
1998 Bien que tardif et volumineux en général, le millésime se révèle aujourd’hui comme très bon ou grand. La suprématie annoncée et avérée des grands Merlots de la rive droite, n’a pu occultée avec le temps, le fait qu’on découvre de très grandes bouteilles rive gauche.
La robe est dense, les arômes d’une grande finesse. En bouche, plénitude, « douceur » et soie des tanins. Une très belle bouteille aujourd’hui.
92/100 – 2025
3ème Série
1990 : Grand millésime solaire et volumineux classé à tort par la critique influente comme supérieur à 1989. Nombre de grands vins sont sur le déclin mais persistent quelques belles réussites.
Couleur légèrement évoluée. Grande finesse aromatique. Du velours en bouche, long et persistant. Beau vin dans un début de maturité.
93/100 – 2030
1989 Précoce, sec et chaud, autre millésime solaire, il s’affirme comme l’un plus grand millésime depuis 1982, toutes rives confondues, mais avec une prédilection pour les grands cabernets sauvignon. Le vin témoigne d’une incontestable supériorité par rapport à son cadet. Plus jeune, plus dense, à la fois plus volumineux et plus ferme. Beaucoup d’agrément déjà et vin d’avenir aussi. C’est un grand DUCRU, superbe.
95/ 100 – 2040
4ème Série
1986 1985 et 1986 ont, à première vue, des parcours qui se ressemblent mais qui, au final, s’opposent concernant les deux rives. 1986 témoigne de la très grande réussite du cabernet sauvignon du Médoc avec nombre de très grands vins, certains devenus légendaires.
Le DUCRU, jeune dans son aspect et dans son corps, porte merveilleusement ses 27 ans ! Une certaine austérité aristocratique lui donne beaucoup de race et de finesse.
93/100 – 2030
1985 Grand millésime pour le Merlot rive droite, le Médoc compte peu de grands vins. Le cabernet sauvignon manque de maturité tant il est associé, à l’époque, à de gros rendements.
Le vin présente néanmoins une certaine race propre à ce grand terroir.
86/100 - à déguster.
1982 Grand millésime, homogène, une sorte de 2005, mais avec des rendements trop élevés. Beaucoup de grands vins n’ont pas tenus, certains se sont desséchés. Ce n’est pas le cas de DUCRU qui nous offre un vin magnifique, au bouquet intense et raffiné. La bouche est fraîche (encore jeune), dense, volumineuse, avec des tanins doux comme de la soie. Une finale longue, suave, très persistante. La grâce née !
96/100 – 2025
5ème Série
Nous sommes dans une période peu glorieuse pour les Bordeaux où une climatologie parfois difficile, des rendements assez élevés sont associés à des modes de production peu élitistes.
1978 Millésime volumineux, tardif, froid et humide, sauvé par un été indien.
Arômes légèrement végétaux, bouche agréable, style à l’ancienne.
86/100 à déguster.
1975 Après la crise des vins de bordeaux et une suite de millésimes exécrables (1972, 1973, 1974), 1975 est annoncé à tort comme le plus grand depuis 1961 ! La plupart des vins sont en voie de disparition ou morts. Quelques rares exceptions émergent (La Mission)
Arômes murs, des tanins un peu asséchants ; old fashion.
86/100 à déguster.
6ème Série
Période bio avant l’heure, avant les pesticides, les désherbants, la lutte chimique à tout va.
1966 Quatrième et dernier grand millésime des années 60. Bon ou très bon millésime classique avec une bonne acidité qui a bien tenu les vins, principalement rive gauche.
Odeur d’âtre, de combustion et de fruits mûrs. Millésime très fin à l’agitation. La bouche est longue, durable, quoique souple, presque douce. Un bonheur qui persiste longuement dans le plus grand raffinement du cru.
93/100 – 2025
1962 Tardif et mésestimé au départ par l’ombre portée de son illustre aîné puis, par la suite, à cause de la supériorité globale des 1964 et 1966, il s’est révélé avec le temps dans quelques crus
Tannique, dur au départ, le DUCRU est resté longtemps austère et fermé. Depuis une quinzaine d’années, il est à son sommet dans un style compact, ferme, racé, absolument classique.
93/100 – 2030
7ème Série
1955 C’est la troisième fois que j’ai la chance de déguster ce vin qui reste une de mes grandes émotions. Il est l’archétype de ce que Bordeaux, St Julien en l’occurrence, peut offrir de plus grand. Dans le pur style classique – pas « old fashion » car cela induit des défauts mal tolérés aujourd’hui – et évidemment d’une finesse inouïe. Lui donner un âge à l’aveugle reste un exercice délicat, avec le risque de se tromper et d’évoquer 2 ou 3 décennies plus proches de nous. La pureté et la finesse du bouquet se fondent dans un concert d’une incroyable rémanence.
97/100 – 2020
1953 Mérite tout autant les éloges portés à son frère cadet. On est dans le grand art de DUCRU. Même si la bouteille n’a pas la pureté de la précédente, à cause d’un léger goût de bouchon.
94/100 – 2020
8ème Série
1934 Le seul bon millésime avec 1937, des tristes années de la décennie, à s’être maintenu en vie pour nous émouvoir. Une fraîcheur s’associé à une grande finesse de la structure.
92/100 - à déguster
1929 Avec 1928, ils sont les deux millésimes d’exception de la décennie frappée par une crise économique mondiale. Le vin est toujours présent, dans un registre longiligne et élégant. Mais cette bouteille est sur la pente descendante.
86/100 - à déguster
9ème Série
1970 Cette magnifique bouteille est une des rares révélations du millésime à Bordeaux qui en général, a souffert d’énormes rendements. Les amateurs connaissent DUCRU 1970 qui se maintient dans sa superbe depuis 30 ans, sans aucun signe de fatigue. Une richesse maîtrisée et une finesse aboutie ! Un immense plaisir.
96/100 – 2035
1961 Millésime mythique à Bordeaux par la conjonction du gel et de la coulure qui réduit les rendements de façon drastique et un été excessivement chaud qui concentre les raisins. La densité de ce DUCRU et surtout sa texture de velours, onctueuse, presque sucrée, signent ce millésime hors-norme.
96/100 – 2030
1959 Premier grand millésime après le gel de 1956, un des derniers avant les engrais chimiques et les pesticides. La chaleur et la sècheresse ont nourri la structure. Le terroir de DUCRU, à travers le vieillissement, a fait le reste. Grande bouteille classique, d’une grande harmonie. L’archétype du grand Bordeaux abouti.
93/100 – à déguster
10ème Série
2000 Tel qu’annoncé à sa naissance, ce millésime mythique par ses trois zéros l’est aussi par sa qualité générale à Bordeaux. A une climatologie miraculeuse, s’est ajouté le souhait des vignerons de signer une production mémorable, particulièrement à DUCRU. Le vin impressionne par la force de sa couleur, la richesse et l’élégance de son fruité autant que par la puissance et la noblesse de sa trame tannique. Dans 10 à 15 ans il commencera à livrer ses secrets.
96/100 - 2020 – 2050
1996 Millésime très médocain qui a mis du temps à mûrir, l’instar de 1986. Resté longtemps dans sa gangue, dans un mutisme déroutant, il commence à s’épanouir. L’arôme s’est nourri de nuances raffinées et les goûts ont fusionné. La flaveur finale longue et racée témoigne du grand terroir.
93/100 – 2040
1995 J’ai toujours trouvé ce vin exceptionnel. DUCRU n’a pas que de grands cabernets, il a aussi de grands merlots qui dans ce millésime pourtant réputé rive droite, ont donné ici leur quintessence. Avec cette suavité, ce gras, cette puissance contenue qui tempèrent la vigueur des cabernets. Ce vin a atteint aujourd’hui un tel degré de perfection qu’il est à inscrire parmi les plus grands de son millésime.
97/100 – 2040
11ème Série
2005 Avec une climatologie idéale, une récolte homogène et un volume relativement restreint, ce millésime fut déclaré « conte de fées pour vigneron » ! Archétype du millésime, DUCRU 2005 est gouverné par un équilibre et une profondeur souverains. La force alcoolique est balancée par un niveau d’acidité élevé et par une puissance tannique remarquable ou se conjuguent densité, ampleur velouté et suavité de la texture. Est-il le plus grand – du moins dans son potentiel – de tous les millésimes produits à DUCRU ? A chacun sa réponse. Nul doute qu’il est et sera parmi les vins d’anthologie de ce terroir.
98/100 - 2020 – 2050
2003 Millésime atypique, unanimement décrié à sa naissance, il ne manque pas de surprendre aujourd’hui. A la réserve près que les vins soient issus de bons ou de grands terroirs et aient été élaborés dans la plus grande mesure, c'est-à-dire dans un classicisme absolu. C’est tout à fait le cas de DUCRU 2003 – le premier millésime de notre hôte – qui se révèle d’une belle fraîcheur et d’une harmonie séduisante. 93/100 – 2030
12éme Série
2009 Plébiscité à sa naissance, ce millésime appartient aux quatre grands millésimes solaires de ce début de siècle : 2000, 2005, 2009, 2010. La sécheresse très prégnante dans les sols graveleux a profité aux vieilles vignes implantées sur les grands terroirs profonds comme à DUCRU. Les dimensions de ce vin atteignent des sommets parfaitement contenus par une acidité suffisante. Le vieillissement va faire son œuvre. Il nous promet une bouteille légendaire.
97/100 2025 – 2060
2010 Finir cette grande verticale par ces deux grands millésimes était osé, après tous ces flacons magnifiques, épanouis. Et pourtant si jeunes, ils furent impressionnants tant ils possèdent tous les prémices d’un parcours historique. En 2010, la vigne contrainte par une grande sécheresse s’est transcendée, peut-être plus qu’en 2009. DUCRU 2010 est serré, tendu, plutôt vertical que sphérique (2009), un peu sévère. Il possède, plus que le 2009 peut-être, cette quatrième dimension nommée profondeur, ce privilège des plus grands terroirs.
99/100 2030 – 2060
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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