13 Juin 2015
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Après château D’ISSAN, sur la célèbre route des châteaux du Médoc, on distingue, au loin, drapeaux au vent, l’imposante bâtisse de château Palmer, édifiée en 1856. Comme une invitation adressée à tous les amateurs de la planète à venir découvrir ce cru de légende. Car sur le plan historique, Palmer est bien servi. Déjà connu au 18ème sous le nom de château de GASQ, il est acquis en 1814 par le Major Général Charles PALMER qui, à l’instar d’autres anglo-saxons déjà installés en Médoc (l'écossais BROWN, les irlandais KIRWAN, BARTON…), va faire apprécier le Palmer’s claret à l’aristocratie londonienne et s’attacher à agrandir le domaine. Sa vie romanesque, ses mauvaises affaires et l’invasion de l’oïdium l’obligent à céder sa danseuse à la Caisse Hypothécaire de Paris qui revend en 1853 (1) aux banquiers PEREIRE. Ces mécènes, outre de faire élever le château actuel, n’ont de cesse de compléter, par achats ou échanges, ce qui aujourd’hui constitue le terroir d’élite de Palmer (30 ha). La double offensive du mildiou et du phylloxéra ainsi que la crise de 1929, contraignent les Pereire à vendre en 1937 à quatre négociants bordelais. Il ne reste plus aujourd’hui que deux familles propriétaires (MAHLER-BESSE et SICHEL) et leurs descendants, soit 22 actionnaires.
Qu’il s’agisse des CHARDON, puis des BOUTEILLER à partir de 1950 (Jean puis Bertrand associé à Philipe DELFAUT) et, depuis 2004, de la nouvelle équipe sous la houlette de Thomas DUROUX, les responsables successifs ont eu en commun de pratiquer la politique d’exigence inspirée par les divers propriétaires. Fort d’une expérience dans divers vignobles européens, Thomas DUROUX, ingénieur agronome et œnologue, n’a pas la prétention de faire la révolution mais d’offrir sa compétence, à la vigne et au chai, pour révéler, avec encore plus de précision, l’essence même de ce finage : le goût classique d’un grand Bordeaux qui irradie sa discrète complexité.
Notons entre autres initiatives de Thomas ; de faire valider par les propriétaires la création de deux vins blancs : un sec (un sec, Le blanc de Palmer, et un liquoreux confidentiel) ; et depuis 2008, de convertir progressivement le vignoble à l’Agriculture Biologique (2). A ce jour, 20 hectares sont certifiés AB et en 2017, la totalité le sera en y ajoutant le label Demeter (Biodynamie).
Le vignoble, presque d’un seul tenant, se partage entre les communes de Margaux (15 ha dont une partie mitoyenne de Ch. Margaux) et de Cantenac (35 ha). Les légères ondulations du relief, ces fameuses croupes de graves (3) dites de Günz, étalées au quaternaire en terrasses plus ou moins érodées, servent de support à tous les grands crus médocains et particulièrement à ceux qui « regardent la rivière » comme Palmer. Pauvreté (argile < 30%) et perméabilité du sol, associées à une très forte densité de plantation (10.000 pieds/ha ici), contribuent à l’enfoncement des racines – d’où la tolérance optimale vis à vis des variations climatiques - et à l’ascèse de rendements naturellement faibles (20 à 40 hl/ha). La proximité du fleuve écrête les excès thermiques et favorise la précocité de la végétation puis de la maturation des raisins. La surface assez importante du vignoble et la complémentarité des cépages - dont les proportions dans le vin varient selon les millésimes - offrent les meilleures possibilités d’assemblage qui soient.
Quatre mois après la récolte, un comité restreint déguste les nombreux lots isolés à la vendange pour les distribuer judicieusement. Avec l’objectif d’un vin de garde à maturation lente, on privilégie dans le grand vin le cépage qui présente la qualité optimale pour un long vieillissement. A la différence de la majorité des crus du Médoc, surtout ceux du nord, ce n’est pas toujours le cabernet sauvignon qui domine. Car Palmer possède de grands merlots qui, dans certains millésimes, s’imposent dans le grand vin. On leur adjoint de plus en plus le petit-verdot pour sa trame serrée et sa vivacité.
L’Alter Ego, se veut être une autre expression (un « autre moi ») du terroir de Palmer, avec moins de fermeté, de force initiale, plus de merlot mais pas toujours, moins d’extraction et un élevage plus court, pour une évolution plus rapide. Un « autre Palmer » complémentaire de son aîné dans la cave de l’amateur.
Les connaisseurs de par le monde ont toujours loué, particulièrement après 10 ans de vieillissement, le caractère raffiné des arômes (jamais prononcés) du vin de Palmer, son équilibre souverain, sa saveur ferme et veloutée conjuguant longueur en bouche et suprême distinction. Le grand style de Palmer émerveille les sens dans les grands millésimes - 1945, 1947, 1961(4), 1966... 1989, 2000, 2005…comme ce sera le cas pour les sublimes 2009 et 2010. Il peut se révéler également exceptionnel dans des millésimes moins cotés en rive gauche - 1950, 1960, 1970, 1971, 1975, 1983, 1985… - et enfin très remarquable, « comme un hommage rendu au terroir par la persévérance des hommes », dans des millésimes réputés difficiles : 1980, 1984, 1987, 1991, 1992, 1993, 1994, 1999, 2007…
Ce constat de régularité de la qualité du vin, toujours dans l’élégance, est la preuve intangible de la grandeur de Palmer. Les hommes qui président à ses destinées ont toujours su s’effacer derrière la nature - la vérité du terroir - et respecter les conditions de chaque millésime.
Palmer est incontestablement au sommet de son AOC ; son assimilation, dans la hiérarchie, à un « super second cru », trouve sa légitimité dans le fait que, certaines années, on peut le comparer à son plus proche et illustre voisin, château Margaux.
Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur
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