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HOMMAGE AU PETIT VERDOT

HOMMAGE AU PETIT VERDOT

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De « petit » ce cépage n’en a que le nom. Cultivé dans cette région bien avant le cabernet, il a lentement régressé, voire disparu. Malgré sa réputation pour ses qualités de structure et finesse, il ne persiste que comme cépage complémentaire à hauteur de 2% en moyenne dans l’ensemble du Médoc. Difficile à cultiver, tardif, peu généreux (ses baies sont petites, voir photo ci-après), il a été maintenu par quelques résistants et même replanté, principalement dans le sud du Médoc où sa participation peut atteindre 10% de l’encépagement et dans de rares cas les dépasser. Les crus classés n’en ont que des traces à l’exception de ch. Palmer (6%), ch. Lagrange (7%), ch. Léoville-Poyferré (8%), ch. Pichon-Comtesse (8%), ch. Prieure-Lichine (10%), ch. Kirwan (10%), ch. Siran (13%). Notons quelques exceptions (liste non exhaustive) que je vous recommande de déguster un jour : Ch. Belle-Vue (20%) AOC Haut-Médoc ; Ch. La Garricq (20%) AOC Moulis ; ma récente découverte Ch. Tour de Gilet (23% dans l’encépagement et 60% dans la cuvée) AOC Bordeaux supérieur ; Ch. Moutte Blanc cuvée normale (25%) AOC Bordeaux supérieur ; ch. La Bessane (60%) AOC Margaux et le champion du genre, ch. Moutte Blanc cuvée Moisin (100%) AOC Bordeaux supérieur.

Cultivé de façon élitiste, il donne des résultats remarquables propres à étonner sinon à emballer, comme je le fus, le dégustateur exigeant. Très coloré, il subjugue par la droiture, la profondeur et l’originalité de son goût auquel ne sont pas étrangers la race des tannins et la finesse des arômes (d’aucuns citent des similitudes avec de grandes syrah). Son potentiel de vieillissement serait tout aussi grand.

M. et Mme de Bortoli du château Moutte Blanc, très connu des amateurs, m’a convié avec cinq professionnels à une verticale de Moisin AOC Bordeaux Supérieur, de 2009 à 1994. Une de leur cuvée 100% Petit-Verdot issue d’une parcelle de 0,50 ha plantée à 5000 ceps/ha il y a plus de 80 ans par le grand père de M. Bortoli.

Quelle aubaine pour prendre la mesure de ce cépage à travers le temps ! Avant de résumer les impressions gustatives de cette verticale, revenons sur l’écosystème du Petit-Verdot à Macau. Au lieu-dit Moisin, proche de Tour de Gilet, dans les palus, il vit heureux à 300 m de la rivière, les pieds dans l’eau. En hiver la nappe est à 50 cm et on peut, dit-on, arracher les ceps à la main! Inondable à souhait, son environnement tient plus de la culture maraîchère (les artichauts de Macau) ou du maïs que de la haute viticulture de croupe. Dans cette argile trop riche et battante, indésirable pour transcender tout autre cépage noble, le Petit-Verdot contredit les vérités propres au terroir viticole. Jusqu’à penser que la croupe graveleuse, pauvre en argile, chaude et sèche, où il est souvent implanté, ne serait pas son lieu de prédilection. D’ailleurs dans certains crus, il occupe les bas de pente colluvionnés et humides. Outre ses difficultés culturales – il est « coulard » et pousse comme un fou – sa disgrâce, dans certains crus, ne relèverait-elle pas aussi d’un choix inadapté des parcelles ? Une autre particularité du Petit-Verdot l’autorise à être récolté avant sa pleine maturité, sans que le vin en porte les tristes désagréments (végétal, verdeur, acidité, dureté ou amertume des tannins…). Une prouesse fort louable car à l’approche de la maturité, il a tendance à éclater ses baies à la moindre pluie, tant elles sont petites et serrées. Cette plasticité lui donne de se défier des conditions climatiques, ce que démontre l’insolente qualité des millésimes océaniques (1994, 1999, 2004, 2007, 2008, 2011, 2012, 2013). De plus, comme il vit les pieds dans l’eau, la grande sécheresse lors des millésimes chauds ne lui pose bien sûr aucun souci !

Étonnamment dense et profonde, la couleur des plus vieux millésimes de Moisin constitue le premier signe de la résistance de ce cépage au vieillissement. Au fil de la dégustation, l’arôme se révèle d’une grande pureté, livrant dans les millésimes jeunes, un fruit frais, mûr, d’une grande précision, et dans les millésimes plus anciens, une complexité séduisante (fruits mûrs, confits, secs ; vanille ; cèdre ; baume…). Faut-il ajouter que l’élevage (18 mois) se fait dans les meilleurs bois de chêne français (forêt de Bertrange) avec seulement 40% de neuf. En bouche, le vin domine vraiment son sujet et particulièrement le bois neuf qu’on ne perçoit jamais. On a la sensation de croquer ce cépage à pleines papilles dans sa plus pure et noble expression.

Que dire de plus sinon qu’on est en présence d’un grand vin, tendu, svelte, compact, rigoureux voire strict dans les années récentes. Et qu’avec l’âge, 10 ans au moins, il prend de la dimension, du volume, de l’ampleur, du fondu, avec une trame tannique d’une grande finesse qui persiste longuement. De la race et même de la classe ! Ne sous-estimons pas cependant la partition que joue ici l’âge des vignes.

La messe du Petit-Verdot un peu longue ? Certes ! Mais je la dis à la hauteur de mon enthousiasme.

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À propos

Franck Dubourdieu

Œnologue-Consultant, critique indépendant, bloggeur

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